PASCAL
PAOLI
Un projet de fiction - documentaire de 90 minutes,
par Serge TOMASINI
Alors que l’Europe de ce XVIIIème siècle est gouvernée
par des monarchies de droit divin, une petite île de méditerranée, la Corse,
va se doter de la première constitution
écrite de l’histoire! Un jeune homme de trente ans sera la maître d’œuvre
de cette aventure unique dans l’histoire de la construction européenne : Pascal Paoli.
C’est un brillant officier du royaume des deux Siciles, admirateur
inconditionnel des philosophes du siècle des lumières, diplômé de l’Académie
Militaire Royale . Avec lui va
se tourner l’une des pages essentielles de l’histoire de la Corse.
Pascal
Paoli est un personnage hors du commun, très instruit il parle couramment l’Anglais,
l’Italien et le Français, il pratique couramment le latin et le grec depuis
l’enfance. Il aime la chose politique, il maîtrise le maniement des armes et
l’art du commandement.
Pendant des siècles l’Ile de beauté fut convoitée par les puissances méditerranéennes . Les phocéens, les carthaginois, les romains, les sarrasins, les pisans et les génois tour à tour ont occupé cette place stratégique pour le commerce entre la future Italie, la péninsule Ibérique, l’Afrique et le port légendaire de Marseille, carrefour du commerce avec la France et les pays nordiques. A l’origine propriété du Saint Siège, la Corse est protégée par la Papauté et sert souvent de monnaie d’échange. Les villes côtières témoignent encore des invasions et colonisations successives.
La Corse de l’intérieur, difficile
d’accès, est administrée par des familles de seigneurs, des clans souvent
unis contre les envahisseurs, mais désorientés et ballottés par
d’incessantes luttes féodales stériles. Les seigneurs de la Cinarca, de la
Casinca, de Castagniccia, de l’alta-rocca ou du Bozziu perdent peu à peu leur
puissance et leur légitimité.
Ce n’est qu’avec le déclin de Gênes
en ce début du XVIIIème siècle que les corses se décident à
reprendre la lutte contre les lourdes taxes et les injustices génoises. Ainsi débute,
en 1729, la première véritable guerre d’indépendance.
De nombreuses insurrections menées
par les « Montagnards » bientôt rejoints par les notables des
villes côtières, vont consolider l’unité du peuple corse et renforcer le
sentiment d’appartenir à une véritable nation.
Le père de Pascal Paoli, Hyacinte
Paoli, est l’un des chefs
historiques de ces rebellions . Lui même très cultivé il avait rédigé la
première charte du Royaume de Corse dont le préambule célèbre est
annonciateur de la marche des nations : « Tous les hommes naissent
libres et égaux entre eux… »
Mars 1755,
Clément Paoli, le frère aîné de Pascal sera le porteur du message tant espéré :
« La
Junte secrète de la Révolution de Corse s’apprête à convoquer une consulte
du peuple pour élire le chef légitime capable de conduire la patrie vers
l’indépendance ! Un seul nom à été cité : Pascal Paoli. »
Le 29 avril
1755 Pascal Paoli débarque sur l' île. Le 13 juillet, il est proclamé Général
de la nation Corse et Père de la Patrie . Il peut maintenant mettre en œuvre
son grand projet de constitution , celle-ci servira plus tard de modèle à l’élaboration
de la constitution des États Unis d’Amérique ; de nombreuses villes américaines
portent d’ailleurs son nom : Paoli City dans le Colorado, l’Indiana, la
Pennsylvanie.
Pascal
Paoli va s’attacher à construire une nation souveraine et un Etat indépendant
.
Au mois de
mai 1755 commence alors l’une des plus curieuses aventures de l' histoire de
l’Europe : une île paradisiaque, un peuple minuscule de bergers et de
montagnards, un petit royaume perdu va se métamorphoser, par la foi d'un jeune homme de trente
ans, en République modèle.
C’est
l’histoire de cet homme que nous voulons raconter, avec l’étude des
documents encore archivés à Gênes et à Londres, il s’agit de reconstituer
la carrière de ce Général à la tête de la première République du XVIIIème
siècle européen. Il s’agit de comprendre et découvrir ce qui deviendra,
pour les philosophes du siècle des lumières, le laboratoire d’essai de la Révolution
qui poindra quelques trente années plus tard.
C’est
l’histoire d’un homme qui a tout sacrifié à sa patrie.
C’est
l’histoire d’un homme admiré et adulé par le jeune et fougueux Bonaparte.
C’est
l’histoire d’une histoire qu’on a un peu oublié dans l’histoire de
France.
C’est
l’histoire de Pascal Paoli.
Nous voulons mettre en images, dans
le cadre exceptionnel des montagnes corses, le récit de cette aventure par la
mise en scène des personnages principaux et la reconstitution des événements
qui ont marqué la courte période de l’indépendance de la Corse d’avril
1755 à août 1769.
Il s’agit de reconstituer sur place
les rencontres des chefs de la rébellion, nous assisterons aux « consulte » chargées de l’organisation de la République
naissante, nous suivrons le Général
en Chef de la nation Corse dans sa lutte contre la pauvreté et la modernisation
de son pays. Nous ferons connaissance avec James Boswell et Jean-Jacques
Rousseau qui, comme l’Europe entière ont les yeux fixés vers cette Ile de la
Liberté. De nombreux témoignages de solidarité et d’admiration seront
adressés à Pascal Paoli notamment par le Roi de Prusse, l’Impératrice de
Russie ou le Roi d’Angleterre. La renommée de ce général retentira jusque
dans les colonies anglaises de l’Amérique du nord où l’on considérait
Paoli comme le précurseur de la pensée démocratique.
« Il faut que notre administration ressemble à une maison de
cristal où chacun puisse voir ce qui s'y passe. Toute obscurité mystérieuse
favorise l'arbitraire du pouvoir et entretient la méfiance du peuple. Avec le
système que nous suivons, il faudra bien que le mérite se fasse jour, car il
est presque impossible que l'intrigue résiste à l'action épurative de nos élections
multiples, générales, fréquentes. » Pascal Paoli.
C’est là, au cœur de la montagne,
que nous retrouverons nos personnages, seigneurs et notables ensemble contre Gènes,
ensemble pour l’aventure la plus extraordinaire du Royaume de France. Les
chefs de la révolte insulaire sont tous là, réunis dans le couvent
Sant-Antone de la Casabianca, on reconnaît :
Luigi Giafferi : Il appartient à la première génération
de révolutionnaires corses avec Andrea Ceccaldi ,Jean Pierre Gaffori et
Hyacinthe Paoli. Depuis plus de vingt ans déjà ils se battent contre Gênes,
ce sont les primats du royaume de Corse.
Andrea Ceccaldi : Organisateur politique des
insurrections il fait partie des quatre primats du Royaume et fut élu général
de la Nation Corse en Décembre 1730.
Hyacinthe PAOLI :
C’est le chef des insurgés depuis 1734, il revient de
son exil à Naples où
l’avait suivi son fils
Pascal.
Joseph-Octave NOBILI-SAVELLI :
partisan de Paoli dès les premières heures, il sera l’un des quatre députés
français qui portera la Couronne de Corse à George III, roi d'Angleterre.
Clément PAOLI : fils du
Hyacinthe, surnommé le Bayard Corse, c’est un stratège
militaire redoutable, il a déjà eu l’occasion de défaire plusieurs fois les
troupes génoises.
Bonfiglio Guelfucci : Le père Bonfiglio est un religieux
de l’ordre des servites de Marie, maître en théologie, il a fait ses études
à Rome où il fut nommé secrétaire du Prieur général de l’Ordre. Il sera
un proche conseiller de Paoli et le suivra dans son exil à Londres.
Tout au long de cette aventure nous
aurons également l’occasion de rencontrer d’autres personnages. Des hommes
et des femmes qui, revenant de tous les pays d’Europe, retrouveront le sol
natal pour se battre et gagner son indépendance.
Charles Bonaparte : Il rejoindra les insurgés en 1763
et sera le secrétaire de Paoli. Il a fait des études de droit à Pise comme
nombre de ses compatriotes, puis il a vécu à Rome. En 1763, il reviendra en
Corse et choisira la carrière d’avocat,
avant de s'engager sous la bannière
de Pascal Paoli et de l'État insulaire. En 1767, il épousera Laetitia Ramolino
qui donnera le jour deux années plus tard à Napoléon, dont Paoli sera le
parrain.
l'abbé Marc Aurèle Raffaelli
d'Orezza : Comme beaucoup de
religieux, il prend fait et cause pour les révolutionnaires et la légitimité
de la nation Corse. La Corse fut longtemps terre vaticane, la présence
catholique y est considérable.
Mathieu Buttafocco : Le Comte Mathieu de
Buttafocco est un noble qui aurait pu garder ses privilèges et se tenir
tranquille. Mais il est profondément Corse et attaché aux principes de liberté.
C’est un ami de Jean-Jacques Rousseau qui lui écrira de nombreuses lettres.
Paoli le fera Colonel du régiment Royal Corse en 1765. Il sera l’un des
artisans du traité de Versailles et deviendra général de brigade en 1781.
Ces personnages seront interprétés
par des acteurs que nous mettrons en scène dans chaque « Consulte »
dans les différents couvents de Corse qui les accueillaient au XVIIIème
siècle. Nos personnages se rencontrerons en différents endroits symboliques
comme à la Citadelle de Corte , de Bastia ou d’Ajaccio. Sur les falaises de
Bonifacio ou en plein cœur de la Castagniccia, point de départ des révoltes.
Enfin, nous reconstituerons quelques rencontres significatives entre les
principaux acteurs de la guerre d’Indépendance de la Corse.
Pour développer ce projet, il nous
faut mettre en œuvre l’étude très précise des archives pour bien préciser
le contexte, vérifier les informations parfois contradictoires de cette époque
et écrire les dialogues entre les personnages.
La Corse :
« Cette île est habitée par des barbares qui ont une langue étrange
et difficile à comprendre ! » Cette constatation des marins
grecs de l’Antiquité qui croisent au large des côtes montre déjà l’intérêt
que porteront à la Corse, tout au long de son histoire, les peuples, les
royaumes et les gouvernement de l’Europe. Le Corse est en effet une langue,
qui sera plus tard un peu Italianisée par l’influence toscane et la longue présence
génoise. C’est un idiome qui a évolué dans son vocabulaire mais pas dans sa
syntaxe. Les chants traditionnels, proches des mélopées arabes et du chant grégorien
reflètent les luttes du passé et la rudesse des mœurs.
Depuis l’Antiquité
de nombreuses tribus vivent recluses dans l’épaisse forêt vierge de la
montagne corse. Ces tribus sont regroupées en communautés villageoises et
pastorales. La communauté est propriétaire du sol sans partage et relève du
groupement de villages : « la Piève ». Ces
coutumes locales sont puissantes et l’autorité centrale, quelle qu’elle
soit, n’est pas acceptée et demeure d’ailleurs bien souvent impuissante.
Au XIIIème siècle la
population est essentiellement composée de pasteurs transhumants et de quelques
sédentaires appartenant à une seigneurie. Les seigneurs sont souvent
favorables à l’autorité établie, tant qu’elle ne menace pas leurs privilèges.
Après la défaite des pisans, les génois s’installent durablement en corse.
La pays vit alors dans ce que l’on pourrait appeler la paix Génoise. Les
guerres ont accumulé beaucoup de ruines et les barbaresques continuent leurs
ravages dans la plaine nourricière abandonnée aux pirates et à la malaria. La
république de Gênes s’attache à une oeuvre d’apaisement et de réorganisation.
L’amnistie est généralisée, les fiefs sont restitués. Cela n’empêche
pas le développement de rivalités et luttes intestines menant le pays à
l’anarchie.
Novembre 1729, de la piève du Bozziu entre en rébellion contre
les collecteurs de taxes génoises. les
premiers chefs de la révolte vont tisser le bandeau blanc des libertés.
C’est une véritable flambée d’émeutes populaires qui gagne peu à peu
toutes les communautés voisines.
1730,
la Castagniccia et la Casinca prennent les armes. Elles mettent à sac Bastia.
Le soulèvement s’étend sous la conduite d’Andrea Ceccaldi, de Luigi
Giafferi, de l’Abbé Raffaelli et de Jean-Pierre Gaffori.
1731,
le mouvement réuni en consulte au couvent d’Orezza affirme la légitimité du
soulèvement populaire et le droit à l’émancipation. Rapidement, les places
Génoises de Bastia, Calvi et Ajaccio sont en état de siège permanent.
1734,
après plusieurs période de retour au calme les insurrections reprennent,
notamment dans le Rustinu où Hyacinte Paoli est pourchassé par les génois. Corte, la grande ville du centre est aux
mains des insurgés.
Janvier 1735, la consulte d’Orezza aboutit à la première
proclamation de l’indépendance, un projet de constitution est rédigé, le
pouvoir exécutif est confié à trois primats du Royaume de Corse :
Hyacinte Paoli, luigi Giafferi et Andréa Ceccaldi.
La République de Gênes ne peut accepter cet affront et organise de
nombreuses représailles dans le pays et organise le blocus de l’Ile.
1736,
la révolte s’essouffle. Le 15 avril, le baron Théodore de Neuhoff débarque
à Aléria. Il soutient avec ses hommes et sa fortune la cause de la Corse. Il
est alors sacré roi de Corse. Son règne
sera éphémère, il se terminera en novembre de la même année. Mais il a donné
un souffle nouveau à la révolte et offert à la Corse son emblème. La tête
de maure regarde à droite, le bandeau blanc est parfois sur les yeux, et
l’oreille porte l’anneau de l’esclavage.
1738,
les primats du Royaume sont capturés et exilés à Naples. Pascal Paoli n’a
que 14 ans et quitte son sol natal pour suivre son père en exil.
Jusqu’en 1755, les jacqueries, les insurrections, les coups de force
harcèlent les autorités génoises.
L’île s’agite, un courant profond la traverse. Une conscience collective est en marche. La Corse lutte contre Gênes à visage découvert, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Avril 1755, les chefs rappellent en Corse le fils de
Hyacinthe Paoli, il est officier du roi de Naples. Il a trente ans, c’est
Pascal Paoli.
Né à Morosaglia au cœur
de la montagne corse, Pascal Paoli revient avec enthousiasme au pays natal. Exilé
à Naples avec son père depuis plus de quinze ans il y avait reçu une solide
instruction aussi bien de culture classique que de théories modernes, celles
notamment des philosophes français. Les intellectuels européens voient en lui
un véritable démocrate, fondateur d’un véritable esprit démocratique et
considéré comme le fils des Lumières il sera très lié à Jean Jacques
Rousseau, James Boswell ou encore Voltaire.
Son attachement à la Corse qu'il a quittée à l’âge de quatorze
ans le rend très attentif aux affaires de son île .
Le 15 juillet, il est élu Général de la nation par la
consulte de San Antonio de Casabianca. Dès le mois de novembre, Pascal Paoli réunit
une nouvelle consulte qui fixe la règle
à suivre dans l’avenir en jetant les bases d’une constitution nouvelle.
Cette constitution dont
les bases furent jetées par les primats du Royaume et longtemps murie par
Pascal Paoli sera finalement rédigée par Jean-Jacques Rousseau. «
Corses ! Faites silence. Je vais parler au nom de tous. Que ceux qui ,ne
consentiront pas s’éloignent. Et que ceux qui consentiront lèvent la main.
Tout enfant né dans l’île sera citoyen et membre de la république quand il
aura l’âge, en suivant les statuts. Et nul ne pourra l’être que de cette
manière. » Tout ce que ses prédécesseurs avaient fait de bon en la
matière, est maintenu : la division du territoire en provinces, fiefs et
communautés, l’élection au suffrage universel des municipalités avec à
leur tête les podestats et les pères du communs. « Il sera tenu dans
chaque piève, un registre de toutes les terres que possèdent chaque
particulier. Nul ne pourra posséder des terres hors de sa piève ». On
reconnaît la primauté de la consulte sur tout le reste, son élection au
suffrage universel à raison d’un député par piève. « La personne
des gardes des lois sera sacrée et inviolable. Et il n’y aura personne dans
l’île qui ait la puissance de l’arrêter ».
La nouveauté
introduite par Paoli réside dans le renforcement du pouvoir exécutif. Pour
modifier les mœurs en profondeur, il ouvre des écoles publiques dans tous les
villages, fonde l’université de Corte et crée un journal chargé
d’apporter jusque dans les hameaux les plus reculés les nouvelles de la
nation en marche. Il s’emploie à ranimer l’économie ruinée par 25 années
de guerre et l’agriculture reçoit la priorité. Le régime communautaire
ancestral est restauré. « Un pays est dans sa plus grande force indépendante
quand la terre y produit autant qu’il est possible, c’est-à-dire quand elle
a autant de cultivateurs qu’elle en veut avoir ». « Pour chaque enfant qu’il aura de plus
que cinq, il lui sera alloué un patrimoine sur la commune ».
La politique agraire de Paoli est très bien accueillie
par le peuple, mais elle dresse contre lui quelques notables contraints de
rendre gorge. Mais Paoli va réactiver l’industrie dans l’île. Les
anciennes mines de fer sont réouvertes et de nouvelles mines sont exploitées.
Des salines sont installées, des manufactures de poudres et d’armes sont crées.
Enfin, le Général développe la construction navale nécessaire à la
poursuite de la guerre contre Gênes encore occupants de l’Ile.
Pour encourager le commerce, Paoli fonde le port de l’Ile Rousse par lequel les huiles de Balagne s’exportent sans passer par Calvi, encore aux mains des Gênois.
Paoli fait battre monnaie nationale, il donne des lettres
de mer aux marins corses, il fait reconnaître le pavillon blanc à tête de
maure dans tous les pays voisins. Ainsi, les Corses nouent des relations et des
échanges commerciaux avec tous les pays de la méditerranée.
Le pavillon à tête de
maure a changé : le bandeau est sur le front, la boucle d’oreille de
l’esclavage a disparu, la tête regarde à gauche. Corte devient la capitale
de la Corse.
Dès 1760, Paoli décide de doter la Corse d’une marine. Et devant le
succès des corsaires, les Génois proposent des négociations. La consulte de
1761 refusera les négociations aussi longtemps que les Génois n’auront pas
évacué tous les postes occupés. Les années passent et Pascal Paoli tient le
siège des places Génoises, sans relâche. Alors la République de Gênes, à
bout d’arguments, va signer le 15 mai 1768
un traité par lequel elle cède au Roi de France tous ses droits sur la
Corse.
« La République n’a pas le droit de céder la Corse qu’elle ne possède pas. Et quant bien même elle l’eût possédé, elle n’a pas celui de le transmettre à qui que ce soit, sans le consentement de la nation. »Contraint de faire la guerre à la première puissance du monde, Paoli adresse à la jeunesse corse un vibrant appel aux armes : « S’il suffisait de vouloir la liberté, le monde entier serait libre ». Et les Corses répondront comme un seul homme. Mais Paoli n’a que les faibles forces de son île natale à opposer au puissant monarque.
Le 22 mai 1769, un homme appelle les Corses à la résistance,
il se nomme Charles Bonaparte : « Voici l’instant de vérité. Si nous
ne conjurons pas la tempête qui s’annonce, c’en est fini de notre nom et de
notre gloire ». « S’il est écrit que le plus grand monarque
de la terre doit affronter le plus petit peuple du monde, nous avons sujet de
nous enorgueillir car nous mourrons glorieusement, comme nous aurons vécu.
Montrons à nos ennemis que leur entreprise n’est pas une partie de plaisir».
Une guerre commence. Elle commence mal pour les français qui subissent
plusieurs revers. Mais bientôt les patriotes corses aperçoivent les avantages
d’une union avec la France. Le 8 mai 1769, les troupes du Comte de Vaux
ouvrent la route de Corte à Ponte Nuovo.
On sent alors que tout est perdu pour la Corse. Pascal Paoli est
abandonné par les notables. « Ils ont les cheveux frisés et sentent les
parfums du continent ».
Pascal Paoli va s’embarquer le 13 juin 1769 à Port
Vecchio. Il fait voile vers l’Italie. Puis son chemin d’exil le conduit à
Londres. Charles Bonaparte ne s’est rallié qu’à contre-cœur à la
domination française. « J’ai été bon patriote et Paoliste dans l’âme
tant qu’à duré le gouvernement national
; mais ce gouvernement n’est plus. Notre indépendance perdue nous ne pouvons
espérer mieux que de vivre à l’ombre des lys. Nous serons fiers
d’appartenir à la première nation du monde».
Réconforté par ses amis, Charles Bonaparte revient à
Ajaccio. Nous sommes au mois d’août 1769, Charles Bonaparte est installé
avec Laetitzia rue Malherbes. Il parle couramment le français. Sa formation
juridique le destine à la place de procureur au Palais. Le 15 août 1769,
Laetitzia donne naissance à leur deuxième enfant : Napoléon. La révolution
de corse est terminée.
1789, la France vit les prémisses d’une révolution. En apprenant la réunion des Etats généraux, Pascal Paoli comprend que le moment est venu de reconquérir l’indépendance nationale. A l’annonce du décret du 30 novembre, Paoli, qui avait toujours refusé de traiter avec la Monarchie, accepte l’union de son pays au royaume de France. Il remercie même l’Assemblée Nationale d’avoir rendu la liberté à son pays. Pascal Paoli est reçu par le roi, par Robespierre, par Lafayette.
Le
9 septembre 1790, 419 députés réunis au couvent d’Orezza
élisent à l’unanimité Pascal Paoli, président de l’Assemblée de Corse
et Général des gardes nationales de l’île. Pascal Paoli est l’ancêtre
des préfets.
1791, pascal Paoli tente de se mêler au nouveau jeu politique
insulaire qui oppose les Pozzo di Borgo et les Bonaparte. Mais les temps ont
changé. Les fils de Charles Bonaparte, eux, pensent déjà en terme de République
française. Napoléon Bonaparte, malgré l’opposition des Pozzo et des Paoli,
parvient à se faire élire lieutenant colonel d’un bataillon de volontaires
corses.
1792, la Convention charge Pascal Paoli de conquérir la Sardaigne. C’est un échec. A cause de ses amitiés avec les Anglais, les républicains révoltés l’accuseront de traîtrise.
Le
2 avril 1793, la voix du jeune Napoléon Bonaparte se
fait entendre à la Convention: « Représentants, vous êtes les vrais
organes de la souveraineté du peuple. Paoli serait-il donc corrupteur et
ambitieux ? Lui qui, à peine arrivé à la tête des affaires détruisit les
fiefs et ne connut d’autre distinction que celle de citoyen. »
Le 17 juillet 1793, Pascal Paoli se tourne vers l’Angleterre. Il décide
de faire de la Corse une monarchie parlementaire. Royaume éphémère. En
octobre 1795, Pascal Paoli doit embarquer à Saint Florent pour l’Angleterre. «
La seule récompense que j’ambitionnais était votre affection. Vous me
l’avez accordée. »
Novembre 1796, la Corse est définitivement
française. De l’Angleterre, Pascal Paoli suivra attentivement les succès qui
marquent les pas du petit ajaccien, le fils de son ami Charles Bonaparte. Napoléon
est général. Campagne d’Italie, campagne d’Egypte, coup d’état du 18
Brumaire.
18 mai 1804, 28 Floréal de l’an 12, Napoléon est proclamé
Empereur des Français. Pascal Paoli écrit : « Je l’aime parce que les
habitants de cette île savent se distinguer dans toutes les carrières. Il nous
a vengés de tous ceux qui ont été la cause de notre avilissement. »
Le 5 février 1807, Pascal Paoli rendait son âme à Dieu. Il
avait 82 ans. Napoléon, lui, ne reviendra jamais en Corse, sa position de chef
d’une grande nation fera taire les sentiments de son cœur. La Corse a enfin
retrouvé la paix.
1836, ouverture des cinq routes principales. Le Second
Empire accélère le rythme et en 1860, Napoléon III est accueilli
chaleureusement à Ajaccio. Aujourd’hui, 5.400 Km de route et 2.000 Km de
chemin. Février 1888, le chemin de fer relie Bastia à Corte. Là-bas, l’Europe
s’embrase dans des guerres terribles, des guerres qui prennent beaucoup trop
d’enfants à la Corse, la Corse qui donne à l’Europe tant de grands hommes.
Est-ce pour retrouver leur communauté que tous reviennent et les cimetières
recréent parfois des villages d’autrefois ?
En 1975, deux départements sont crées : l’Au-delà des monts
devient à peu près la Corse du Sud et l’En-deçà des monts sera la Haute
Corse.
1982,
l’Assemblée de Corse est élue au suffrage universel. Aujourd’hui la Corse
Compte 270.000 âmes. Et l’actualité répète parfois l’histoire,
l’histoire qui dit ce que les images ne montrent pas, les souvenirs attachés
aux lieux, les gestes des héros et la légende, la légende des siècles
corses.
BIOGRAPHIE
PASCAL PAOLI
Pascal
Paoli est né le 6 avril 1725 à Morosaglia dans la Castagniccia. Son père
Hyacinthe Paoli, patriote et premier ministre du roi Théodore doit en 1739 se résigner
à l' exil. Le petit Pascal suit son père. Il passe sa jeunesse et fait ses études
à Naples. Cet enseignement fait du jeune exilé un homme de vaste culture. Il
parle et écrit couramment le latin, l' italien, le français et l' anglais.
Mais les malheurs de sa patrie ne le laisse pas indifférent. Il suit
attentivement les péripéties de la Corse. Celle-ci a besoin de chefs expérimentés:
Paoli choisit donc le métier des armes. En septembre 1754, son frère Clément
ainsi qu' un grand nombre de notables supplient Pascal Paoli de rentrer dans sa
patrie. Le 29 avril 1755 le jeune officier débarque sur l' île. Le 13 juillet,
il est proclamé Général de la nation Corse.
Alors, commence une des plus curieuses aventures de
l' histoire: une île perdue, un peuple minuscule de bergers et de montagnards,
un état qui n' avait fait jusqu' ici que des ébauches d' organisation va se métamorphoser
par la foi d'un jeune homme de trente ans en République modèle.
Quand Paoli vient au pouvoir, un inextricable désordre
règne sur la Corse. Deux forces antagonistes se partagent le gouvernement
officiel: l' armée Française et l' administration Génoise. Toutes deux ne
contrôlent que les ports et une partie des côtes. Quant à l' intérieur de l'
île (c' est à dire les 9/10 ème) il est entièrement livré à lui
-même. Trouver les lois et les institutions qui puissent convenir aux Corses n'
est pas chose facile. La constitution de Paoli réussit cette gageure. Elle est
un heureux amalgame des traditions insulaires et des théories sociales,
juridiques et économiques que les oeuvres de Montesquieu, de Voltaire et des
Encyclopédistes propagent alors à travers l' Europe. La base en est la volonté
populaire exprimée par le suffrage universel. Plus d' une trentaine d'années
avant les révolutions américaine et Française, le peuple se déclare maître
de lui-même, c' est à dire souverain: concept tout à fait original à l'époque.
Rousseau voit dans les Corses le peuple de son rêve: égalitaire, sobre,
courageux, épris de liberté et désigne la Corse (dans son contrat social)
"comme le seul pays en Europe capable de législation". L' oeuvre la
plus urgente est d' éloigner de l' île le spectre de la misère et de la
famine. Paoli décide de donner à l' agriculture une impulsion durable. Il
essaye aussi de jetter les bases d' une industrie nationale en faisant exploiter
les mines de plomb et de cuivre. Quant au commerce, l' occupation des ports par
les Génois et les Français semblent l' interdire. Il a la hardiesse de faire
creuser le port qui manque à la Corse. Ce nouveau port appelé Ile -Rousse
devient rapidement prospère et procure à l' économie Corse une ouverture sur
le monde extérieur. Après la stabilité politique, la sécurité publique, la
renaissance de l' agriculture et du commerce Paoli organise l' école primaire
et fonde une université à Corte.
Sa réputation s' étend de l' Europe entière (des
souverains comme Frédéric II de Prusse, Catherine de Russie, le roi de Saxe,
le bey de Tunis lui témoignent leur estime) et jusqu' en Amérique où un autre
peuple cherche à se décoloniser (une ville de 20 000 habitants et trois autres
localités portent son nom). Rousseau et Voltaire lui portent la plus haute
estime. L' Angleterre tout entière, opinion et gouvernement suit de près les
affaires Corses. Dans la seconde moitié du XVIII ° siècle, les Corses dirigés
par Pascal Paoli, ne sont plus aux yeux du monde les féroces brigands de la
tradition. Leur pauvreté a cessé d' être fatalité de la nature ou effet de
la paresse pour devenir la condition même de la vertu.
... Mais le 15 avril 1768 la république
de Gênes, par un traité signé à Versailles, remet à la France l' exercice
de la souveraineté de la Corse. De nouvelles troupes Francaises débarquent en
Corse.Ces nouvelles campagnes offrent des témoignages éclatants de l' héroïsme
des Corses en guerre pour défendre leur liberté. Mais la valeur ne suffit pas
à gagner la guerre. Le 8 mai 1769 aprés un an de luttes féroces les nationaux
sont écrasés à Ponte-Nuovo. Ils succombent à la supériorité de la
technique, de l' armement et du nombre. Des combats furent encore livrés, mais
Paoli ne veut pas prolonger une résistance sans espoir qui n' aboutirait qu' au
ravage de toute l' île par un vainqueur pressé d'en finir à n' importe quel
prix. Le 13 juin 1769 il s' embarque à Porto-Vecchio sur un navire Anglais.
... Paoli va rester en Angleterre plus de vingt ans. Les grands dignitaires du royaume le reçoivent tour à tour. Le roi Georges III lui octroie une pension annuelle, dont il emploiera une grande partie à secourir ses compatriotes réfugiés en Toscane. Il va se lier à tout ce que la Grande Bretagne compte comme écrivains et artistes. Et lorsqu' en 1789 les Etats Généraux de France se sont transformés en Assemblée Nationale, il est persuadé que les principes proclamés par les constituants doivent entraîner la restitution à la Corse d' un gouvernement national qui jouirait, sous la tutelle quasi-symbolique du roi de France de la liberté promise à tous les citoyens.
... Sur les instances d' une délégation venue de l' île,
il se décide à rentrer en Corse. Sur le chemin du retour il est accueilli par
la Constituante , reçu par le roi, honoré par La Fayette, Mirabeau,
Robespierre. Le Roi l' encourage à faire régner la Concorde en Corse. Le 17
juillet 1790 il débarque à Bastia dans le déchaînement de l' enthousiasme
populaire. Dans les semaines qui suivent, il est élu commandant en chef des
gardes nationales et président du directoire départemental.
Mais la situation générale ne cesse de se dégrader.
C' est le parti favorable à la Révolution qui a voulu le retour de Paoli, mais
Paoli, homme d' ordre blâme ses excés et commence à prendre ses distances, d'
autant que loin de donner à la Corse le régime spécial qu' on lui avait fait
espérer, Paris renforce son emprise centraliste. Paoli refuse de servir la
Convention et de se laisser manipuler. Le 17 juillet, la Convention le met
hors-la-loi. Sur quoi une consulte à Corte décerne à Paoli le titre de Père
de la Patrie et décrète la rupture de tout lien politique et social entre la
corse et la France. Le 19 juin elle approuve un acte constitutionnel qui unit le
royaume de Corse au Royaume de Grande Bretagne. Le système ainsi établit
correspondait assez exactement au schéma tracé par Paoli en 1776, la
protection dont la Corse avait besoin lui étant apporté par une grande
puissance maritime que ses traditions libérales semblaient recommander
particulièrement. Mais le Vice-Roi en place en Corse ne tarde pas à s' inquiéter
de l' influence de Paoli. Il le tiens pour responsable de divers incidents
tumultueux imputables en fait à des maladresses anglaises, et finit par obtenir
des ministres de Londres qu' il soit appelé en Grande Bretagne.
Ce sera son troisième et dernier exil.
Il meurt enfin à l' âge de 82 ans, le 5 février
1807. L' ancien général de la nation corse est enterré dans la crypte de
Westminster au milieu des Princes et des grands capitaines de l' Angleterre.
La Corse
au XVIIIème Siècle
(Antoine-Marie Graziani)
Dominée
tout à tour par les Etrusques, les Romains, les Sarrasins, les Génois, affamée
par les disettes, puis terrorisée par les « bandits », la Corse a une
histoire particulièrement tourmentée. République autonome qui inspira de
nombreux pays (dont l’Amérique) puis royaume sous contrôle britannique, la
Corse s’affirme alors dans un esprit d’indépendance que n’affaiblira pas
son rattachement à la France en 1796.
« Toute
l’Europe est Corse ». Ainsi s’exclame Voltaire, ému, fasciné même par
l’héroïsme de Pascal Paoli dont la légende, de son vivant, passionne l’Europe
des Lumières. Héros de l’indépendance de la Corse, Paoli s’employa sa vie
durant à faire de son peuple une nation et de son île un Etat, avec sa
constitution (pour laquelle Jean-Jacques Rousseau proposa sa plume), son armée,
sa monnaie, son université.
Né en
1725, excommunié par le pape pour son appartenance à la Franc Maçonnerie, il
combattit contre l’occupant génois, puis contre les Français, et multiplia
les alliances, notamment avec l’Angleterre qui lui offrit un temps sa
protection, avant qu’il ne s’y exile, pour toujours.
Mais parler de Paoli c’est aussi évoquer sa rencontre avec Boswell, le célèbre
mémorialiste écossais qui donna aux Corses une aura de champions de la liberté
et à Paoli la stature d’un héros. Parler de Paoli c’est enfin se pencher
sur le mythe.
Au cours
des années 1760, livres, gazettes, correspondances abondent en éloges, dictés
quelquefois par des intérêts nationaux ou privés, le plus souvent par
l’enthousiasme. De Catherine de Russie à Frédéric II, l’Europe des Lumières
communie alors dans une admiration qui culminera après la défaite de Ponte
Novu contre les Français.
Alors « législateur
démocrate » ou « despote éclairé »? La réalité est sans doute plus
complexe, elle n’en est pas moins passionnante et fait de Paoli, le « père
de la patrie corse » en même temps qu’une figure majeure de l’histoire
universelle de la liberté
L’île
a une superficie de 8778 km2. L’orientation de la ligne de crêtes a créé
une véritable barrière naturelle entre l’est et l’ouest. Les cols élevés,
les vallées étroites, les fleuves nombreux, encaissés, courts, et de ce fait
impraticables à la navigation, n’ont pas favorisé les moyens de
communication à l’intérieur de l’Île. Les plaines, à l’exception de la
plaine d’Aléria, sont peu étendues. L’absence de routes a freiné le développement
de l’Île. Il faut attendre 1827 pour que la route Ajaccio - Bastia soit
faite. Pour les voyageurs du siècle dernier, les chemins corses sont les plus
rudes qui soient. En 1960, certains villages n’étaient pas encore accessibles
par voiture, c’est dire l’état de dénuement dans lequel l’île a été
plongée durant des siècles.
Si les conditions naturelles de l’Île ont été un frein à son développement économique, elles n’en furent pas pour autant les seules causes.
Point stratégique
en Méditerranée, l’île est convoitée par de nombreux voisins. Ses 1000 km
de côtes indéfendables sont ouverts aux invasions, aux pillages. A la crainte
de l’envahisseur s’ajoute celle de la malaria, qui n’a été vaincue,
rappelons le qu’après la Seconde Guerre mondiale. C’est donc l’insécurité
et l’insalubrité de la plaine qui ont fait fuir les habitants vers les
montagnes. C’est de la montagne, de Corte, que va être géré l’Île. La
population dans la montagne va y être dense jusqu’au début de ce siècle.
Ainsi la
vie communautaire a régi durant des siècles la vie des montagnards. Si
aujourd’hui les structures de ces communautés ont disparu, il existe encore
dans certains villages vivant en léthargie cinq jours par semaine (nombreux
sont les insulaires qui possèdent une maison au « village » où ils se
rendent les week-end) et dix mois sur douze, un grand esprit de communauté, nécessité
de s’aider, d’unir ses forces lorsque le taux démographique de ces villages
baisse, et que les bras manquent pour tuer le cochon, couper et rentrer le bois
pour l’hiver.
Ces
structures communautaires, qui ont subsisté jusqu’au début de ce siècle,
s’étaient établies dans l’île bien avant la domination génoise. La
communauté, constituée par les habitants de la piève (les pièves étaient le
découpage naturel d’une région, on en comptait soixante-six ; aujourd’hui
les soixante cantons reprennent à peu près le découpage des pièves), se réunissait
le dimanche après la messe sur la place de l’église ou à l’intérieur de
celle-ci, et prenait toute décision concernant la vie du village. L’assemblée
élisait des représentants ou pères du commun, chargés de faire exécuter les
décrets de Gênes. Ces pères étaient assistés d’un podestat au pouvoir de
police et de justice.
L’assemblée
réglait non seulement les problèmes administratifs et agricoles, mais aussi
ceux de la vie sociale. Les bois et les pâturages
restaient la libre jouissance de tous, alors que les terres cultivables étaient
distribuées pour une année entre les chefs de famille qui les cultivaient. La
moisson finie, les bêtes terminaient le travail de l’homme, et à nouveau,
recommençait le cycle du découpage, redistribution démocratique des terres
pour une autre période.
L’assemblée
déterminait le calendrier agricole, mais aussi les règlements intérieurs à
la communauté pour le bien de tous. La particularité de cette organisation
communautaire est une vie autarcique. La production agricole est limitée aux
seuls besoins des habitants. L’absence de moyens de communication ne permet ni
l’échange ni le commerce de certains produits. L’altération de la
communauté commença sous la domination de Gênes pour s’achever au début de
ce siècle. En effet, le littoral qui jusque-là est fui comme la peste par les
Corses deviendra attractif, et le système communautaire dégénérera avec le dépeuplement
de la montagne. C’est la fuite vers une vie moins dure, vers la plaine ou le
continent. Quelques chiffres sont nécessaires pour comprendre aujourd’hui la
léthargie et l’endormissement de cette montagne qui fut durant des siècles
la force vive de l’île et la sécurité de ses habitants.
L’agriculture
est encore peu développée au XVIIIème siècle. Elle est
essentiellement familiale, et répond aux besoins immédiats de la famille. Les
fromages de chèvre et de brebis proviennent des bêtes que les familles élèvent
pour leur consommation, ou des troupeaux gardés dans la montagne par les
vergers solitaires, devins, sorciers, poètes, affirment les légendes
populaires. Il en est de même pour la charcuterie. Le cochon, tué à la Noël,
approvisionnera la famille en viande fraîche d’abord, et permettra des préparations
originales comme la « ventra » « le boudin à la menthe ». Le reste de la
viande sera salé, poivré et fumé. Cette charcuterie est encore aujourd’hui
faite selon la tradition, et se place en deuxième position mondiale, a-t-on pu
dire, pour sa qualité et sa saveur. Les échanges se font essentiellement
d’un port à l’autre. Seule la morue venant d’Italie parvient dans la
montagne. Répétons-le, ce qui a rythmé la production agricole durant des siècles
est le besoin immédiat de la population. Rythme qui semble se poursuivre encore
aujourd’hui dans certains villages de montagne. Et c’est de ses propres
ressources que va vivre l’île. Et, de cette vie dure naîtra une cuisine
simple, savoureuse et parfumée qui a su conserver à travers le temps toute son
originalité.
Les châtaigniers
séculaires sauveront la Corse de bien des disettes et des famines. Véritable
arbre nourricier, son fruit sera accommodé de différentes façons. Salé. Sucré.
Dans les régions d’Orezza, Cervione, Alesani, les repas de noces ne
comptaient pas moins de vingt-deux mets différents tous apprêtés à la farine
de châtaigne. Son goût si particulier, âcre et fumé, vient du séchage des
châtaignes au « fucale ». Depuis toujours, et ce, malgré l’évolution des
techniques, le ramassage des châtaignes et la fabrication de la farine n’ont
pas changé. C’est à l’aube que, munis d’un déjeuner frugal, les
montagnards partent ramasser les châtaignes. Il a fallu auparavant, couper les
hautes fougères au pied des châtaigniers. Le sol ainsi nettoyé peut recevoir
les bogues renfermant le fruit précieux. Aujourd’hui, luxe de notre époque,
le ramassage des châtaignes peut se faire avec des gants, mais il n’en fut
pas toujours ainsi, et il suffit d’entendre raconter les plus âgés pour
imaginer les douloureuses piqûres sur les doigts engourdis.
Les châtaignes, transportées dans le grenier de la maison, sont étalées sur
le plancher composé de lattes de bois, la « grata », espacées entre elles de
quelques centimètres. Durant un mois, elles vont subir l’action conjuguée de
la fumée et de la chaleur montant de la fucale. Le fucone, véritable âme de
la maison, fume châtaignes et charcuterie, et sert aussi de chauffage. Ce feu
se fait sur une plaque d’argile séchée, de un mètre carré et de vingt
centimètres de haut. La fumée se répand librement dans la pièce, noircissant
meubles et murs, et fumant les châtaignes posées sur la grata. C’est autour
de la fucale que se rassemble la famille, que se conte et se raconte la vie du
village. Autrefois, le soir de Noël, la famille réunie jetait dans le feu une
bûche pour souhaiter longévité à chaque membre de la famille. Une grosse bûche
pour les hommes, une petite pour les femmes. Superstitieux, on évoquait le nom
de chacun à haute voix, de peur d’en oublier un, et que celui-ci disparaisse
dans l’année. Mais peut-être aussi, pour que chacun soit éveillé par son
nom ! Le dicton affirme « en Corse autant de pays autant de coutumes ».
La langue corse ne commence à être écrite qu’à partir du XVIIIè siècle, et cela explique la diversité d’écritures des mots. Ainsi, à l’intérieur même d’une région, les coutumes, les traditions d’un village à l’autre, et même d’une famille à l’autre, varient et l’art d’accommoder un même produit est déterminé par ces règles ancestrales. La Castagniccia, la Balagne, et le Sartenais ont leurs spécialités, mais les ressources naturelles de l’île (châtaigniers, poissons, porcs) vont contribuer à donner toute son unité à la cuisine corse